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La liberté impossible

  • Photo du rédacteur: Laetitia Rebord
    Laetitia Rebord
  • 7 oct.
  • 3 min de lecture

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On me dit souvent que j’ai fait mes choix.

Que j’ai choisi mes études, mon métier, ma manière de vivre.

Mais depuis toujours, mes choix ont l’épaisseur d’une survie.

Ils sont faits d’adaptations, de contournements, de renoncements polis.

Rien de ce que je vis ne ressemble à la liberté.


J’aurais voulu être danseuse.

J’aurais voulu qu’un jour, mon corps réponde à la musique,

qu’il m’obéisse, qu’il s’élève, qu’il s’oublie.

Mais la maladie m’a imposé d’autres chorégraphies :

des gestes mesurés, pensés, assistés, des mouvements à deux ou à trois.


Alors j’ai appris les langues,

parce que les mots voyagent même quand les corps restent immobiles.

Et je travaille derrière un écran,

parce que le monde, à distance, me laissait un peu d’espace pour exister.


On me dit souvent que j’ai de la chance.

Que j’ai des auxiliaires de vie, que je suis “bien entourée”.

Comme si ouvrir ma porte chaque matin à une personne qui ne fait pas partie de mon entourage proche choisi

était un geste d’accueil, et non un acte de survie.

On oublie que chaque personne qui m’assiste, entre dans mon intimité

par nécessité, pas par choix.

Et que chaque fois, je dois sourire, rassurer, remercier,

pour que demain encore on m’aide à vivre.


Je n’ai jamais eu le luxe de la colère.

Pas même celui de l’adolescence.

Je ne pouvais pas claquer la porte sans risquer de ne plus être nourrie,

soignée, lavée.

Alors j’ai appris à composer. À plaire. À ne pas déranger.


Ce que les autres ne voient pas,

c’est que chaque personne qui m’assiste

détient la clé de ma survie.

Une clé invisible, mais lourde à porter.


Elle ouvre mon corps, ma maison, mon intimité.

Elle ouvre ma possibilité de respirer, de manger, de dormir.

Et avec cette clé naît un pouvoir.

Même sans le vouloir.

Le pouvoir d’aider ou de retarder, d’écouter ou d’ignorer.

Le pouvoir de me rappeler, parfois sans un mot,

que sans l’autre, je tombe.


Je l’ai vu dans les regards,

dans les phrases qui blessent :

“Avec tout ce que je fais pour toi…”

Comme un rappel à l’ordre, comme si vivre devait toujours se mériter.


Ce pouvoir-là n’est pas personnel, il est structurel.

C’est le monde entier qui le fabrique :

un monde où aider rend à la fois victime et héros/héroïne,

et où être aidéE crée une dette éternelle.

Une dette silencieuse, qui étouffe la voix.


Alors je dis merci — encore, toujours —

par peur que le silence ne devienne abandon.


Même dans l’amour, ce pouvoir persiste.

Aimer quelqu’unE qui dépend de toi,

c’est parfois oublier où finit l’aide et où commence la domination.

Et être aiméE quand on dépend,

c’est craindre d’un mot, d’un ton, de tout faire s’écrouler.


Je suis coach.

J’accompagne mes pairEs vers l’autodétermination.

Mais je sais au fond que la mienne ne sera jamais totale.

Comment s’affirmer face à celleux dont dépend ta respiration ?


Je travaille, j’analyse, je m’affirme du mieux que je peux,

mais il y a toujours cette limite :

celle de devoir demander avant d’exister.


Dans ma tête, je suis libre.

Je cours, je danse, je claque les portes,

je ris trop fort, je désobéis.

Mais dans mon corps, chaque geste est négocié.

Chaque mouvement demande la permission du monde.


Je ne veux pas qu’on me plaigne.

Je veux qu’on comprenne.

Que la dépendance n’est pas une tragédie,

mais qu’elle est politique.

Que derrière chaque sourire poli se cache une lutte,

celle de vivre sans s’effacer.


Mon dernier grand choix contraint, c’est celui de ne pas avoir d’enfant.

Un autre renoncement à la liberté rêvée.

J’y reviendrai.


Mais aujourd’hui, je veux juste écrire ceci :

Je n’ai pas cessé de rêver que je danse.

Pas pour plaire.

Pas pour survivre.

Juste pour le geste pur, celui qui n’a besoin de personne.

Celui où mon corps, enfin, serait à moi.

 
 
 

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